L'étrange puits de Barneville-la-Bertran

Sur la place du village, juste en face de la vieille bâtisse si pittoresque qui fait office de mairie, un beau monument...Non pas un temple à la grecque ou à la romaine, mais un puits, un beau puits avec sa cavité circulaire, sa margelle, son toit d'ardoises, ses rouages et sa manivelle. L'ensemble est en bon état de conservation, un véritable petit joyau de patrimoine rural.
On s'en approche comme on s'en approche d'un feu, avec de la méfiance dans les yeux, puis on finit par s'accouder sur la margelle, en adoptant des poses assez belles, photogéniques et perpétuelles!
Passe-t-on la tête dedans pour y distinguer une fin ou un fond que l'on croit tomber fou! Que voit-on alors? On ne saurait le présumer sans avoir tort ; c'est en-deça de tout soupçon, quelque chose comme le mur du son. "Eh! oh! Il y a quelqu'un là-dedans?!", crie-t-on alors sur un ton négligent. "Il y a quelqu'un là-dedans, dedans, -dans, -dans, -dans, -ans, -ans,-an, -an...", répond l'écho avec un ton inouï. "Bizarre autant qu'étrange", s'exclame-t-on en voyant une escadrille d'anges s'échapper du trou béant!


Le profond miroir sombre se résorbe. A grand peine on le devine, mais on ne perçoit rien. Bientôt, exténué mais décidé, on serre les dents, dodelinant de la tête en jetant autour de soi un regard panoramique, regard que l'on finit par jeter, plonger et planter dans les affres du gouffre. On sonde le fond obscur et glauque qui offre parfois quelques reflets fugitifs tout en émettant des sons rauques, des sonorités évoquant une bassine remplie d'eau frappée comme un gong gondolé. Un instant, on croit voir un corps qui remue. C'est un ragondin qui prend son bain et se débat dans l'eau en s'accrochant à un rondin.


Des ronds, des ondes, un bruit sourd de gong qui gronde... et une bête immonde! C'est tout ce qu'on gagne à regarder ces eaux glacées. Mais halte aux lamentations, car toujours une petite voix se fait entendre, un petit filet fluet qui appelle: "Eh! Oh!". Ce n'est pas le moment de perdre son sang-froid, quand bien même on lancerait des regards emplis d'effroi du côté de l'obscurité...
En bas, dans le cercle étroit, se meut un monde immense, un mélange de magma et de glaise bouillonnant dans une fournaise. Le moment est venu: il faut inspirer fortement, puis, en comptant, un, deux, trois, se lancer corps et âme dans le puits en flammes. En échange, on recueille au coeur des ténèbres et de la géhenne, des cris et des échos caverneux provenant des entrailles inconnues de la terre...
La petite voix harcèle de nouveau : eh! oh! D'un bond l'on explose, et l'on se retrouve sur la margelle du puits, assis en tailleur comme un yogi, la tête dans une main comme le penseur de Rodin! Lorsqu'on se retourne pour regarder dans le vide, le visage devient livide et se couvre de rides: on constate, stupéfait, que le puits a été comblé, si bien qu'il est devenu impossible d'y plonger le regard pour y sonder les ombres sans nombre.
Mais à quoi bon mettre un coup de pied rageur dans le muret soutenant la margelle? Bien mieux, dans le vide, tournons la manivelle! Les dents des roues s'engrènent, le levier décrit dans l'air des rondes folles et des orbes magnifiques. Comme une machine, le puits se met à faire des "cric! crac!" entrecoupés parfois de "dong!" émanant d'une bassine-gong...

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